A Biron, village de Dordogne, c'est Jochen Gerz un artiste allemand qui a restauré en 1996 le monument aux morts. Un monument original, à jamais inachevé.
En 1992, Marc Mattera, le maire de Biron, propose de restaurer l'ancien monument aux morts situé sur la place du village. "Biron est un village classé, explique-t-il. Toutes les rues avaient été remises à neuf. Ce monument en béton, qui datait des années 1920, était entièrement fissuré. Nous voulions le refaire en pierre jaune du Périgord, comme le reste du village. J'en ai parlé à l'architecte des Bâtiments de France qui m'a suggéré de confier la restauration à un artiste contemporain."
Un artiste allemand, Jochen Gerz, est choisi pour réaliser cette commande. Certains villageois, notamment ceux qui ont combattu lors de la Seconde guerre mondiale ont sursauté en entendant parler d'un Allemand. "Nous avons choisi Jochen Gerz, car il était l'auteur de plusieurs monuments contre le fascisme à Hambourg, poursuit le maire. Nous poursuivions le même combat contre la guerre en quelque sorte..."
Le projet, présenté devant tous les villageois, séduit et surprend. Jochen Gerz propose de restituer l'ancien obélisque en pierre de Dordogne et d'en réaffirmer la présence. "Le monument, explique-t-il, personne ne savait où il se trouvait. Il était là, au milieu du village, depuis longtemps, mais ni les habitants, ni les touristes ne s'en apercevaient. Il faisait donc référence à quelque chose de visible qui, avec le temps, semblait avoir disparu. (...) On s'était habitué à lui et on ne le voyait plus". Comment réaffirmer la présence du monument ? Gerz pose une question "secrète" aux 127 habitants de Biron autour du thème : "Qu'est-ce qui est, selon vous, assez important pour risquer votre vie ?" Son oeuvre est constituée des réponses des villageois. Reproduites sous la forme de quelque sept lignes anonymes gravées sur des plaques émaillées, fixées au monument, au socle et au sol, ces phrases traitent de la valeur et du prix de la vie, de la liberté, du futur et de l'amour. Jochen Gerz a rencontré tous les habitants lors d'entretiens individuels et leur a posé la question restée secrète. Un seul a refusé de répondre. Les phrases qui figurent sur les plaques reproduisent au mot près la réponse de chacun des villageois. Chaque citoyen est ainsi co-auteur, responsable de l'oeuvre et porteur de la mémoire qu'elle constitue face à l'oubli. Toutes les réponses expriment tour à tour sa confiance ou sa peur en l'avenir, son amour ou la crainte de l'Autre. Comme le dit un des habitants : "Il est important de voir dans le monument la mémoire de la vie. Il n'y a pas de rupture possible entre hier, aujourd'hui et demain. La mémoire est un fil conducteur qui dépasse l'homme, transcende les noms, les vies, les souffrances et finalement se projette sur l'avenir." "Notre monument aux morts est devenu "vivant" et nous en sommes fiers, commente le maire. Nous ne nous contentons plus de nous recueillir lors des journées de commémoration. Le monument est un rappel perpétuel de ce qui s'est passé. Les touristes sont aussi invités à réfléchir sur la signification du monument aux morts. Il attire l'oeil et les visiteurs posent des questions..." Les adultes à venir, à leur majorité ou futurs habitants de Biron, auront également à répondre à la fameuse question, dont un couple du village est détenteur. Afin que le monument de Biron demeure en perpétuel devenir, comme la mémoire qui, selon Gerz, doit être sans cesse "revécue".
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