Louis de Cazenave, un des derniers poilus, est libre à 110 ans de parler de ses années de guerre et il ne s'en prive pas.
Libre de parler des fraternisations entre les armées française et allemandes : c'est un des sujets tabous de la Grande Guerre, évoquer ces fraternisations conduit à une remise en cause du bien fondé de celle ci. Impossible on ne tue pas 24 millions de personnes sans de bonnes raisons. Et poutant les soldats, eux se parlaient, négociaient une trève autour d'un trou d'eau, échangeaient du pain contre du tabac..."Les Allemands on les retrouvait quand on allait chercher de l'eau au puits. On discutait. Ils étaient comme nous, ils en avaient assez."
Pendant l'année 1917, il indique :"Nous avions fraternisé mais quand c'est arrivé aux oreilles de l'État-major, il a ordonné une attaque."
Libre de dénoncer les massacres . "J'étais dans le 5e bataillon de tirailleurs sénégalais". "Forcément on ne nous mettait pas dans les endroits les plus calmes." La force noire a été envoyée au massacre au Chemin des Dammes, 45% des soldats sont restés à terre lors des premiers assauts.
Libre de refuser les faux honneurs Le président Jacques Chirac souhaitait inhummer le dernier poilu au Panthéon. Louis Cazenave a refusé : "Non je veux aller avec les miens, avec ma famille au cimetière de Saint-Georges-d'Aurac. Je veux la simplicité.". Il a refusé la légion d'honneur jusqu'en Novembre 1995, date à laquelle il accepte à la demande des anciens combattants, son fils explique : "Les anciens combattants l'avaient demandée pour lui, il ne la voulait absolument pas, il m'a dit : "Tu peux te la mettre quelque part". Il n'est jamais allé aux commémorations du 11 novembre à Paris. Les cérémonies il aime pas ça." Sur la Légion d'honneur, Louis Cazenave rajoute : "Les médailles ? Certains de mes camarades n'ont même pas eu le droit à une croix de bois !" "La Légion d'honneur ? Je me serais bien passé. Dites-le bien que l'Etat n'a pas été correct avec moi."(l'état a refusé de lui reverser la pension de sa femme aprés son docés).
Libre de parler des grandes valeurs de l'armée : "La gloire, l'héroïsme ? De la fumisterie !" "Le patriotisme ? Un moyen de vous faire gober n'importe quoi !". "Hay, hay, hay ! Un truc absurde, inutile ! A quoi ça sert de massacrer des gens ? Rien ne peut le justifier, rien !"
Louis de Cazenave est décédé le 20 janvier 2008.
Lazare Ponticelli a consigné ses souvenirs dans un opuscule édité à compte d'auteur. Dans la maison du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), qu'il habitait depuis 1922, il y recevait volontiers les détrousseurs de mémoire, se doutant des raisons de leur tardif empressement. "On n'est plus très nombreux, hein !" A près de 108 ans, il livre le secret de sa longévité : "La patience."
Italien émigré en France à l'âge de 9 ans, il a travaillé comme ramoneur puis crieur de journaux à Paris. "Je distribuais L'Intransigeant, entre le Bon Marché et la Bastille. Le jour où Jaurès a été assassiné, rue du Croissant (le 31 juillet 1914), je me suis retrouvé en rupture de stock." Le lendemain, jour de la mobilisation, il s'engage dans le premier régiment de marche de la Légion étrangère, en trichant sur son âge. "J'ai voulu défendre la France parce qu'elle m'avait donné à manger", assure-t-il. En Argonne, il ne cesse de creuser, d'abord les fosses où enterrer les morts, ensuite les sapes où s'enlise une interminable guerre.
La mémoire patine, la chronologie s'embrouille, les dates et les lieux se confondent. Reste les réminiscences de ce jour, il ne sait où, il ne sait quand, où un homme s'est retrouvé blessé dans le no man's land, prisonnier des chevaux de frise, les barbelés. "Il hurlait, 'Venez me chercher, j'ai la jambe coupée.' Les brancardiers n'osaient pas sortir. Je n'en pouvais plus. J'y suis allé avec une pince. Je suis d'abord tombé sur un Allemand, le bras en bandoulière. Il m'a fait deux avec ses doigts. J'ai compris qu'il avait deux enfants. Je l'ai pris et l'ai emmené vers les lignes allemandes. Quand ils se sont mis à tirer, il leur a crié d'arrêter. Je l'ai laissé près de sa tranchée. Il m'a remercié. Je suis reparti en arrière, près du blessé français. Il serrait les dents. Je l'ai tiré jusqu'à nos lignes, avec sa jambe de travers. Il m'a embrassé et m'a dit : 'Merci pour mes quatre enfants.' Je n'ai jamais pu savoir ce qu'il était devenu."
En 1916, l'Italie rentre en guerre, il est démobilisé de l'armée française. Il est incorporé de force dans l'armée italienne, lui il aurait voulu continuer à se battre pour sa France. Mais deux gendarmes le livre à l'Italie. Il se battra donc sous l'uniforme italien. Lui aussi évoque les fraternisations entre Italiens et Autrichiens. Il se retrouve chasseur alpin dans le Tyrol. Là, enterrés dans la neige, Italiens et Autrichiens sympathisent, à quelques mètres les uns des autres. "Ils nous donnaient du tabac et nous des boules de pain. Personne ne tirait plus. L'état-major l'a su et nous a déplacés dans une zone plus dure."
En 1916, à Monte Cucco, il reste deux jours durant derrière sa mitrailleuse, des éclats d'obus au visage, aveuglé par son sang. Il fait 200 prisonniers, est soigné puis retourne au combat en 1918. Il revient en France en 1920. L'année suivante, le jeune homme illettré monte une entreprise de gros travaux dont il fera une multinationale.
A l'occasion du 11 novembre 2007, le journal Le Monde publie un nouvel article, (daté du 9 novembre) , confirmant le refus des deux derniers poilus de recevoir des obsèques nationales. http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-976441,0.html?xtor=RSS-3208
Il meurt le 12 mars 2008 au Kremlin-Bicêtre dans le Val de Marne.
L'annonce de sa mort sera faite par le présidence de la République française depuis l'Élysée. Malgrès son souhait des obsèques nationales aux Invalides sont organisées le 17 mars 2008.
Une plaque est dévoilée : # Alors que disparaît le dernier combattant français de la Première Guerre mondiale, la Nation témoigne sa reconnaissance envers ceux qui ont servi sous ses drapeaux en 1914-1918. La France conserve précieusement le souvenir de ceux qui restent dans l'Histoire comme les Poilus de la Grande guerre #.
Voir l'analyse de l'historien Nicolas Offenstadt sur le site du CRID: http://crid1418.blogspot.com/2008/03/quel-hommage-pour-quel-poilu-rponses.html
Sources de la page :
Benoît Hopquin, "Les ders des ders", Le Monde, 10 novembre 2005.
Nicolas Offenstadt, "Le pays a un héros : le dernier poilu", L'Histoire, mai 2007.
Lazare, tout jeune, n'a pas hésité à traverser au péril de sa vie les lignes sous les feux pour sauver un soldat allemand, alors qu'aujourd'hui Carla Bruni confie être "amie" d'un SDF dont elle croise le regard en bas de chez elle, tous les jours depuis des années... Jamais ne lui est venue l'idée de le sortir de la misère ni du marasme de son existence.
Et bien je vais vous dire quelque chose : le courage de Lazare Ponticelli et celui de Carla Bruni sont diamétralement opposés.
Rédigé par : benson | lundi 01 mars 2010 à 14h20
Il avait tout compris L U I !
Rédigé par : Chasseur d'images | mercredi 11 novembre 2009 à 10h46
Refuser le Panthéon! C'est un sage notre dernier poilu, espérons que nos élus y réfléchissent un peu à cette prise de position...
Rédigé par : Alain | dimanche 21 octobre 2007 à 19h22